I - Le Baptême
Masaccio - Le baptême des néophytes
Zénon de Vérone - Invitation au Baptême, 6
Approchez, approchez en toute hâte, frères, pour vous rendre a ce bain qui purifie. Tempérés par l’Esprit Saint et par un feu très doux, l’eau vive déjà vous invite de son tendre murmure. Déjà celui qui s’occupe du bain s’est ceint et il attend, prêt a présenter ce qui est nécessaire pour oindre et pour essuyer. C’est pourquoi, soyez dans Ia joie. Vous vous plongerez nus dans la fontaine, mais vous sortirez de ce bain, couverts d’un vêtement céleste et dans un habit blanc. Qui s’abstiendra de salir ce vêtement, possédera Ie royaume des Cieux.
Tout est dit dans cette petite exhortation.
Au cours des sept rencontres que nous allons vivre ensemble, nous allons approfondir la réalité du baptême en nous mettant à l’école des Pères de l’Eglise. Qui sont-ils ? Les évêques et théologiens des premiers siècles du christianisme. A partir de l’Ancien et du Nouveau Testament, ils structurent la pensée et la foi chrétienne. Vous trouverez sur la feuille séparée une liste des Pères que nous allons entendre, assortie de quelques lignes permettant de les connaître, et d’une carte permettant de les situer géographiquement. Les Pères de l’Eglise sont d’une telle richesse qu’on peut passer des années à commenter leurs écrits et commentaires de la Bible. J ’ai choisi de leur laisser très largement la parole, sans chercher à faire un cours de théologie à partir de ce qu’ils disent, et en ne dormant que les commentaires qui me semblent nécessaires.
Les Pères de l’Eglise sont avant tout des pasteurs du peuple chrétien. Nous allons discrètement nous joindre à ces assemblées, entrer dans la basilique, et les écouter...
Préparation au Baptême
Un candidat au baptême se présente à l’Eglise. Une petite enquête est réalisée, sur la vie, sur le métier. En effet, c’est une démarche sérieuse: pendant 3 siècles, à intervalles réguliers, cette démarche pouvait conduire à la mort. De plus, le baptême étant l’entrée dans l’Eglise de Jésus Christ, il faut que le candidat montre sa ferme volonté de vivre désormais selon l’Evangile.
Si l’évêque en donne l’accord, le candidat entre alors en « catéchuménat >>, c'est-à—dire cette étape de préparation au baptême qui devait durer au minimum 2 à 3 ans, selon les lieux. Cependant, on pouvait rester très longtemps en cet état : St Augustin, baptisé à l’âge de 32 ans, était catéchumène depuis sa petite enfance. Normalement, le catéchumène (appelé aussi « auditeur ») se forme à la foi chrétienne en assistant régulièrement à des enseignements, et écoute en particuliers l’homélie de l’évêque, le dimanche.
ll s’agit pour l’évêque de lui présenter l’histoire du Salut de telle manière que l’auditeur « croie en écoutant, espère en croyant et aime en espérant >> (St Augustin De catechizandis rudibus IV, 8).
Lorsque le catéchumène est prêt à faire le pas du baptême, il est présenté à l’évêque, peu avant le carême, par son parrain, qui répond de ses dispositions. Voilà donc l’origine des parrains et marraines : il s’agit de chrétiens engagés, qui accompagnent un catéchumène dans son chemin de foi, et qui sont garants auprès de l’évêque du sérieux et de la bornne préparation de leur filleul. '
Cette présentation est un acte de candidature de sa part, et l’accueil de l’Eglise est une élection : l’évêque choisit le catéchumène au nom du Seigneur.
Journal d'Ethérie, 45
Celui qui donne son nom Ie donne la veille du Carême : un prêtre inscrit les noms de tous, Ia veille des huit semaines pendant Iesquelles j'ai dit qu‘on observe ici Ie Carême. Quand Ie prêtre a note les noms de tous, ensuite, le Iendemain, jour où commencent les huit semaines du Carême, on place pour I'évêque un siége au milieu de I'égIise majeure, au Martyrium. Des deux côtes les prêtres, assis sur des sièges et, debout, tous les clercs. On amène ensuite un a un les candidats : si ce sont des hommes, ils viennent avec leur parrain; si ce sont des femmes, avec leur marraine. Chaque fois, I'évêque interroge les voisins de celui qui est entre en disant : << Est-il de bonne vie ? Respecte-t-iI ses parents ? N'est-il pas buveur ou menteur ? » II s'enquiert encore de chacun des défauts, de ceux du moins qui sont les plus graves chez l'homme. Si Ie candidat est reconnu irréprochable en tout ce qu'iI a demandé aux témoins présents l'évêque inscrit son nom de sa main...
Le catéchumène n’est désormais plus seulement un " auditeur ", mais un " élu "(ou encore, suivant les lieux : " candidat " ou " qui-va—être-illuminé").
Au cours de ce dernier carême avant d’être baptisé, le catéchumène reçoit un enseignement approfondi. Il vient à des réunions très fréquentes, voire même quotidiennes pour entendre l’évêque commenter les Ecritures, le Credo, le Notre Père.
journal d'Ethérie, 46
Ceux qui accèdent au baptême sont d’abord, pendant les quarante jours ou on jeûne, exorcises de bon matin par les clercs... Aussitôt après, on place un siège pour I’évêque... et tous ceux qui doivent être baptises, tant les hommes que les femmes, s’assoient en cercle près de I’évêque. Commencant par Ia Genèse, pendant 40 jours, I’évêque parcourt toutes les Ecritures, en expliquant d’abord Ie sens Iittéral, puis en dégageant Ie sens spirituel. De même aussi sur la Résurrection, et pareillement sur Ia foi, on les instruit de tout durant ces jours le ; c’est ce qu’on appelle Ia catéchese. Au bout de cinq semaines d'instruction, alors, ils recoivent le Symbole, dont on leur explique Ia doctrine, comme celle de toutes les Ecritures, phrase par phrase, d’abord au sens Iitteral, puis au sens spirituel. ll en résulte que dans ces pays, tous les fideles suivent les Ecritures quand on les lit a l'église, parce que tous sont instruits pendant ces 40 jours, depuis Ia 3° heure jusqu’e la 6° heure
ll est à noter que jusqu’à son baptême, le catéchumène ne peut participer qu’à la première partie de la Messe. Une fois que l’homélie est faite, avant le Credo et la consécration, il doit sortir de la basilique. A un moment du Carême, variable suivant les lieux, on lui remet le texte du Credo, qu’il doit apprendre par cœur pour pouvoir le dire publiquement à la fin du Carême.
En plus de cette préparation intellectuelle et spirituelle, les « élus >> doivent également suivre une préparation « ascétique » : jeûnes, veilles et prières de nuit, agenouillements, confession des péchés, continence (même pour les personnes mariées), partage avec les pauvres, etc.
Au tout début du christianisme, ces pratiques s’adressaient aux catéchumènes seuls. Cependant, très vite, toute la communauté chrétienne s’y est associée. Il s’agissait de manifester concrètement la charité fraternelle et l’unité de l’Eglise en accompagnant les catéchumènes.
Justin – l e Apologie
On leur (les catéchumènes) enseigne à prier et à demander à Dieu, en jeûnant, le pardon de Ieurs péchés passes ; et nous-mêmes, nous prions et nous jeûnons avec eux.
Augustin d'Hippone - Sermon 21 6, 6
Ce que nous commencons en vous par les adjurations faites au nom de votre Rédempteur, achevez-Ie par un examen approfondi et par Ia contrition de votre coeur. Nous, par nos prières adressées a Dieu et par les exorcismes contre les ruses perfides de |’ennemi de toujours, nous Iuttons. Vous, de votre côte, persévérez dans Ia prière et la contrition du coeur, pour vous arracher à la puissance des ténèbres et être transfèrés dans le royaume de sa lumière. Voilà pour Ie moment votre travail, voilà votre tache.
La semaine sainte est maintenant arrivée. Les catéchumènes suivent bien sûr, à leur place, les cérémonies de cette semaine. Suivant les lieux, la récitation publique du Notre Père et du Credo est placé le samedi saint, ou bien le vendredi saint, ou même le dimanche précédant Pâques.
Le Baptême
Dès le départ, les baptêmes ne se déroulaient que lors de la Vigile Pascale ou bien lors de la fête de Pentecôte. La Pentecôte se trouve être une deuxième date possible, disent les Pères, en raison du lien étroit de cette fête avec Pâques, et à cause de la pratique des Apôtres : ce jour-là en effet, Pierre appelle tous ceux dont le cœur a été touché par ses paroles à se faire baptiser. Et Saint Luc de commenter en disant que « la communauté s’augmenta ce jour-là d’environ 3000 personnes >> (Ac 2, 41).
Plaçons-nous maintenant dans le contexte de Pâques. A la fin de la semaine sainte s’ouvre la célébration la plus importante de l’année : la Vigile Pascale. Une fois la nuit tombée, tout le peuple chrétien se rassemble autour de l’évêque pour célébrer la Résurrection du Christ. Après la liturgie du feu et de la lumière, on écoute longuement de nombreux extraits de la Parole de Dieu qui parlent de ce grand mystère, et de son accomplissement pour nous en particuliers dans le baptême.
Puis, lorsque l’évêque a terminé son homélie, on se rend en procession, avec chants et flambeaux, au baptistère, qui est souvent un petit édifice distinct de la basilique.
Les catéchumènes se déshabillent
Cyrille de Jérusalem — 2em Catéchèse mystagogique, 2.
O merveille, vous étiez nus a Ia vue de tous et vous ne rougissiez pas. Vraiment en effet, vous portiez l’image du premier homme qui, dans le paradis, était nu et ne rougissait pas. `
Grégoire de Nysse - Homélie pour le jour de la Lumière
Tu nous avais chassés du paradis, et tu nous y as rappelés ; tu nous as dépouillés des feuilles de figuier, ces vêtements sordides, et tu nous as revêtus d’une robe d’honneur... Désormais, quand tu appelleras Adam, il n’aura plus honte et ne se cachera plus, sur les reproches de sa conscience, sous les arbres du paradis. Ayant retrouvé la liberté, il apparaît en plein jour.
L’évêque prononce une bénédiction solennelle de la fontaine baptismale...
Les catéchumènes reçoivent alors une onction d’huile sur tout le corps. Cette huile a plusieurs sens : exorcisme, onction en vue du combat, vêtement d’immortalité.
Puis ils se tournent vers l’occident et prononcent la renonciation à Satan. Il s’agit d’une sorte de serment très solennel dans lequel ils renoncent à toute une conception de l’existence tournée vers le monde et ses plaisirs. Pourquoi l’occident ? C’est le lieu où le soleil se couche, symbole de ce qui disparaît, symbole de la puissance du mal qui est déjà vaincue par la Résurrection du Christ. On se détourne donc des ténèbres.
Aussitôt après, ils se tournent vers l’orient et professent leur foi en Dieu. C’est le principe de la conversion : après s’être détourné du mal, il faut se tourner vers le bien. Pourquoi l’orient ? Parce que c’est le lieu où se lève le soleil, symbole de la lumière plus forte que les ténèbres, symbole du Christ qui ressuscite.
Vient enfin le baptême lui-même : ils descendent dans la piscine.
Didachè 7
Pour le Baptême, baptisez de cette manière : [...] Baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit dans de l’eau courante. Si tu n’as pas d’eau courante, baptise dans une autre eau, et si tu ne peux pas dans de l’eau froide, dans de l’eau chaude. Si tu manques de l’une ou de |’autre, verse trois fois de l’eau sur la tête au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Que le baptisant, le baptisé et d’autres personnes qui le peuvent jeûnent avant le baptême.
L’évêque plonge chacun dans l’eau par trois fois. Ces trois immersions sont faites au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. `On les relie aussi souvent aux trois jours que le Christ a passés dans la tombe. C’est le rite central, rite de mort et de résurrection.
Théodore de Mopsueste - Catéchèses l4, l4. l8-2O
Le pontife se tient debout et, avançant la main, il la pose sur la tête et dit : « Est baptisé Untel au nom du Père » et en même temps qu’il parle, il te fait t’enfoncer dans l’eau et tu inclines la tête comme pour signifier par là ton assentiment et tu relèves la tête, mais il dit : « et du Fils » et de la même manière il te dispose de la main à t’immerger Tu relèves la tête, mais il dit: « et de |’Esprit Saint » et de la même manière, de la main, il te pousse et t’immerge et dès lors tout entier tu remontes de l’eau du baptême.
Puis les nouveaux baptisés, appelés désormais « néophytes >> sortent de la piscine. Ils sont de nouveau oints d’huile, soit sur toute la tête, soit sur le front en faisant le signe de Croix.
Tertullien — Traité du baptême, 7
Au sortir du bain salutaire, on fait sur nous une onction sainte, suivant |’ancienne cérémonie où l’0n avait coutume de prendre de |'huile renfermée dans une fiole pour en oindre ceux que |’on consacrait au sacerdoce. C’est ainsi qu’Aaron fut sacré par son frère Moïse. Notre nom de « Christ » vient de ce « chrême », onction qui fournit aussi son nom au Seigneur puisqu’i| fut spirituellement oint de |’Esprit en son Père, selon ce qui est dit dans les Actes. Ils se sont véritablement assemblés en cette ville contre votre saint Fils que vous avez oint. Ainsi |’onction que nous recevons se fait à la vérité sur la chair, mais son effet se répand dans |’âme. De même |’action du baptême est extérieure, mais |’effet en est tout spirituel, puisque nous sommes purifiés de nos péchés
Les néophytes sont alors revêtus d’une robe blanche, qu’ils porteront pendant 8 jours de fête et de célébration de la Résurrection du Christ : l’« octave de Pâques >>.
Augustin D'Hippone
Celui qui a ordonné à la lumière de briller au milieu des ténèbres a illuminé les baptisés. Ces enfants (il appelle enfants les néophytes, quel que soit leur âge), vous les voyez blancs à |’extérieur et purifiés à l’intérieur. Par la blancheur éclatante de leurs vêtements ils figurent |’éc|atante pureté de leurs esprits. lls étaient ténèbres lorsqu’i|s étaient écrasés par la nuit de leurs péchés. Mais ils sont purifiés par le bain de la miséricorde, arrosés par la fontaine de la sagesse, inondés par la lumière de la justice.
Enfin, tout le monde retourne en procession à la basilique, où les néophytes vont participer pour la première fois à la deuxième partie de la Messe. Ils participent à la prière universelle ; ils apportent les offrandes à l’autel ; ils découvrent les prières que disent l’évêque et les prêtres, à l’autel ; et enfin ils communient pour la première fois. —
Enfin, l’horaire de la célébration était calculé de façon à ce que tout se finisse au moment où le soleil se levait. Pour les néophytes, comme pour l’ensemble de la communauté chrétienne, cette sainte nuit de Pâques débouchait sur la lumière et la joie de la Résurrection.
Après le baptême
Pendant les 8 jours de fête que constitue l’octave pascale, les néophytes sont revêtus de leur tunique blanche. Ils viennent chaque jours achever leur formation catéchétique auprès de l’évêque.
Pendant le Carême, ils ont entendu un résumé de toute l’histoire du Salut. Après le baptême, on leur explique le sens des rites qu’ils ont vécu. Ce détail est typique de la pédagogie des Pères de l’Eglise. Ils nous en donnent l’explication : le baptême en lui-même est une lumière qui permet de comprendre.
Ambroise de Milan - Des Mystères, 1, 2
« La lumière des mystères pénètre chez ceux qui ne s’y attendent pas mieux que si une explication les avait précédé. »
Ambroise de Milan - Des Sacrements 15
« Par la fontaine du Seigneur et la prédication de sa Passion, tes yeux se sont ouverts. Toi qui semblais avoir le cœur aveuglé, tu t’es mis à voir la lumière des sacrements. >
Cyrille de Jérusalem - Cathéchèse 16, 16
« Celui qui a été jugé digne de recevoir le Saint Esprit a |’âme illuminé, et il voit de façon plus qu’humaine ce qu’il ne connaissait pas jusque là »
On possède ainsi un certain nombre de ces enseignements, qui procèdent tous de la même logique interne: « Rappelez-vous, .... >> vous avez fait ceci, vous avez dit cela, etc... Cela signifiait que .... Une partie des citations que nous avons déjà lues sont tirées de ce contexte. Nous en découvrirons d’autres lors de la prochaine rencontre.